Les hommes

Société de services, MARTINI & CIE a été très dépendantes des collaborateurs qu’elle employait. Sa renommée et la qualité de ses prestations n’a pu se faire qu’avec le concours journaliers de ces hommes et femmes, qui ont œuvré quotidiennement aux bons services fournis à une clientèle parfois exigeante mais aussi fidèle.

Le travail était parfois harassant : je pense par exemple aux déménageurs qui devaient monter à l’étage de lourdes bibliothèques, mais aussi durant la guerre remplacer les chevaux manquants avec une charrette à bras, assurer chargement et déchargement à la main… C’est avec une profonde admiration de ces « anciens », que l’on peut constater avec satisfaction la modernité des moyens techniques qui sont présents aujourd’hui.

Depuis 1840, et les faibles moyens de l’époque, le monde a vraiment changé ! Ainsi les muscles des déménageurs ont-ils été remplacés par un monte-charge démontable, les chevaux vapeur ayant remplacé la cavalerie et la manutention est maintenant mécanisée. Le vrac maritime a été « conteneurisé », les camions de plus en plus puissants et rapides. Les échanges de fret routier se font surtout la nuit (quoique chez MARTINI le service groupage travaillait déjà la nuit dès les années 1930)…

Dans les bureaux le téléphone d’abord, puis le télex, ensuite le fax, et enfin l’informatique et Internet ont complètement modifié le travail administratif. Par exemple je me souviens Chez MARTINI TRANSPORTS de la présence d’un véritable PABX téléphone au RDC de l’avenue Thiers à Nice de plus de 3 mètres de longueur sur une hauteur de 2 mètres. On entendait les TIC-TAC des contacteurs dans une musique incessante. La standardiste « connectait » les lignes avec des fiches qu’elle introduisait manuellement dans des prises… alors que le télex crépitait ses lignes de texte provenant parfois du bout du monde.

Une ambiance « bon enfant » régnait, dans une franche camaraderie. Le travail se faisait sérieusement et tous se montraient impliqués dans la tâche confiée. Les bonheurs, mais aussi les malheurs étaient partagés comme dans une grande famille. Par exemple, la tradition de la Catherinette était fêtée joyeusement. Mais aussi les morts durant la guerre étaient-ils honorés chaque année par une cérémonie interne sous une plaque commémorative (encore en 1919 il est noté « la démobilisation de plusieurs hommes et leur réintégration »).

Naturellement notre société comme les autres a connu des troubles sociaux. Des grèves dans les années 1919/1920 (parallèlement à l’augmentation du pain), mais aussi et surtout en 1936/1937 (conciliateur de préfecture, commission arbitrage Paris, arbitrage ingénieur Ponts et Chaussées).

Une écrasante majorité du personnel (cadres, employés et ouvriers) ont été d’une parfaite probité. Néanmoins ici comme ailleurs, manipulant beaucoup d’espèces ou d’objets de valeur, nous avons connu des déboires liés à des malversassions ou des vols parfois importants, qui ont déséquilibrés l’entreprise. Néanmoins jamais un tiers n’a eu à supporter aucun de ces évènements imprévus. L’effectif maximum a été d’environ 400 personnes (toutes filiales comprises). Une constance au fil du temps : le personnel reste fidèle à l’entreprise et très nombreuses ont été les personnes qui sont restées 10, 20, 30, 40 et même….60 ans !


Anecdote :

Je l’ai connu quand j’étais très jeune, mais les anciens m’ont souvent parlé de lui. Il s’agit d’Ernest (son nom de famille ?) qui serait resté chez MARTINI & CIE durant 60 ans !...

Entré très jeune (13 ans ?) comme aide manutentionnaire, il est resté dans notre maison jusqu’à son décès dans nos locaux de la Remise. Entretemps les anciens disaient que MARTINI & CIE lui avait fait passer son « permis à pétrole » et qu’il conduisait donc les camions jusqu’à ce que la dernière visite médicale obligatoire le lui interdise. Mon Père l’avait convoqué pour lui demander de faire valoir ses droits à la retraite (âge déjà dépassé), mais ce dernier, dans un élan « comédiente -tragediente » (il était d’origine italienne) lui dit que sa vie était chez MARTINI et que sans elle il en mourrait… Pour lui fut donc réattelé une remorque avec un cheval jusqu’à ce que la Maire de Nice Jacques MEDECIN interdise par un décret municipal « la livraison hippomobile à Nice ». Nouvelle scène se répétant, il lui fût confié un espace pour faire des copeaux avec les invendus de Nice-Matin pour les caisses de déménagements. C’était une pièce fermée d’environ 30 à 40 M² située à l’entrée des entrepôts de la rue Richelmi à Nice. Là Ernest ponctuait son travail par de longues siestes, sa casquette éternellement vissées sur la tête et une cigarette papier-maïs au coin des lèvres. Les chauffeurs venaient le taquiner en lui disant qu’il allait griller comme une saucisse avec tous les copeaux de papier l’environnant, et il répondait toujours que « c’étaient de jeunes imbéciles qui n’y comprenaient rien » ! C’est ainsi qu’un jour il ne s’est pas réveillé de la dernière sieste… après 60 ans de dur travail et d’une fidélité exemplaire à notre maison.

Mon souvenir :

Si je n’ai qu’un vague souvenir d’Ernest, par contre reste totalement encré dans ma mémoire celui de Robert ZEBI, chauffeur de notre maison. Ce dernier, par ailleurs d’une fidélité exemplaire à mes parents, était d’une taille très petite et lorsqu’il transportait un frigidaire, on aurait dit que ce dernier marchait tout seul !... De tous nos chauffeurs, c’était celui que personnellement je préférais le plus. Encore enfant (10/12 ans) Il m’était arrivé une fois ou deux, de faire le voyage en camion avec lui depuis Nice à Chamonix, où notre famille était réunie le temps des vacances. Malheureusement, Il est décédé, après une longue maladie, vers la fin des années 1980/81, alors qu’il n’avait pas encore 55 ans.