LE POURQUOI DE LA CHUTE !…

Il est facile d’analyser une situation quand on connait déjà le déroulement des opérations. Facile aussi de jeter la première pierre… à condition que cette dernière ne vous revienne pas dessus par un effet de boomerang ! En d’autres mots : « la critique est facile, et l’art est difficile ». Dirigeant de longues années cette vieille entreprise, j’ai aussi ma responsabilité sur les erreurs stratégiques, et ne saurais bien évidemment m’en dédouaner. Néanmoins, à la lueur des archives et de mes propres souvenirs, j’ai tenté de comprendre pourquoi et comment cette belle pépite d’entreprise était tombée.

Des « erreurs stratégiques », il y en a eu à toutes les époques, tout du moins à partir des écrits de 1919 (date à laquelle l’entreprise est passée en société anonyme), car auparavant nous avons seulement le souvenir oral des anciens. Je ne connais pas d’exemple d’un dirigeant, même le plus puissant, qui ne se soit pas trompé à un moment ou un autre de sa carrière.

Ainsi pour MARTINI & CIE, la plus ancienne est sans doute celle de la longue fidélité à la SNCF en tant que correspondant de cette dernière. Il fut un temps où cette activité a permis l’essor de l’entreprise, notamment indirectement à son service de groupage, mais aussi à celui de ses agences de voyages.

En fait, et les livres de la société le prouvent, il y a toujours eu un décalage du prix des prestations fournis à la SNCF et son coût objectif. De façon récurrente, les CA ou AGO, évoquent cette disparité et la demande incessante de réactualisation.

Egalement (développé par ailleurs) le fait de ne pas joindre les différents services sur une seule plateforme, a multiplié les frais et a donc obéré de manière très importante les résultats.

Cette fidélité au rail a masqué l’essor de la route, et notre maison a raté cette transformation des échanges de biens. Même si, à une période, elle a été précurseur sur son époque, en développant un système de « rail-route » avec du matériel spécialement adapté. Petit à petit, l’important service de groupage s’est étiolé, et nos clients se sont tournés vers d’autres concurrents routiers, ces derniers assurant plus de souplesse, de régularité et du « porte à porte ».

C’est donc tardivement, à partir des années 1960 que nous sommes venus à la route, notamment avec un service régulier entre le sud de la France vers le nord de l’Italie. Puis ensuite avec semi-remorques et camion-remorques dans toute l’Europe pour le déménagement.

Pour diriger une entreprise, il faut nécessairement disposer d’outils de mesure. Or MARTINI & CIE a toujours rencontré de grosses difficultés à maitriser sa comptabilité. Là encore, les archives au fil des années, démontrent cette faiblesse.

Il est vrai qu’une seule comptabilité regroupant tous les différents services était un obstacle qu’aucun dirigeant n’a réussi à franchir. En effet, comment faire cohabiter une facture de transitaire, avec celle d’un correspondant SNCF/SERNAM, avec celle d’une agence de voyages ou d’agent maritime, etc ?!... Visiblement une mission impossible. Par exemple la seule comptabilité coûtait à la société dans les années 1970 plus de 750.000 Francs par an (soit environ 115.000 €) pour des résultats analytiques très approximatifs et en tout cas trop tardifs ! Comment dans ces conditions prendre les bonnes décisions de gestion ? Ceci explique sans doute en partie cela !

De même les conjonctures vécues furent de diverses conséquences. Pendant les guerres, naturellement, des restrictions sévères pour les hommes et la cavalerie, mais aussi pour l’entreprise elle-même prise en tant que personne morale. Suivies de périodes d’euphorie économique, mais durant lesquelles la concurrence se faisait plus vive. En fait rien n’a jamais été simple, même durant les 30 glorieuses, où des évènements extérieurs ont aussi touché l’entreprise.

Parmi ces évènements extérieurs, citons la construction de l’Europe, qui a vu disparaitre les frontières (donc notre métier d’agent en douane notamment avec l’Italie), le choc pétrolier de 1973 (directement impactant notre flotte de camions), la semaine des 40 H, puis celle des 35 H, l’avènement de la taxe professionnelle (dont il faut rappeler ici que la base portait sur l’actif immobilier –nos entrepôts-, sur le matériel – nos camions – et enfin sur les salaires – notre personnel), la concurrence difficile des déménageurs venant d’Afrique du Nord et cassant les tarifs (mais déjà et aussi le « self déménagement » ou ceux qui employaient au noir), la non application de la TRO (tarif routier obligatoire) par nos concurrents routiers (avec pour certains le bidouillage du tachymètre),les lourds impayés en douane, etc, etc…

Aussi parmi les évènements extérieurs, mais qui en fait venaient de l’intérieur, de nombreux vols ou détournements (du vol de sacs d’or, en passant par de fausses factures, détournement de billets d’avion ou d’espèces, transport pour compte propre avec les camions de l’entreprise, comptes d’escale de navires trafiqués, etc, etc…). Toutes les époques ont connues ces difficultés engendrées la plupart du temps par une comptabilité défaillante et ne permettant la découverte que trop tardivement.

En définitive la société MARTINI & CIE a souffert de sa taille et la diversité de ses services. Trop petites pour rivaliser avec les entreprises structurées (type Calberson, Mory, Danzas…) qui centralisaient les frais fixes, mais en même temps trop grosse pour concurrencer les artisans qui ne comptaient pas les heures de travail, ceux qui ne respectaient pas les contraintes règlementaires ou sociales. L’entreprise n’a jamais atteint sa taille critique, employant jusqu’à environ et globalement 385 personnes.

Il convient toutefois de relativiser cette appréciation, car en fait à ce jour il ne reste que très peu de ces anciennes entreprises, qui, petit à petit ont toutes disparues, alors que notre entreprise à un état embryonnaire est toujours présente, même si c’est dans d’autres activités que celles d’origine.

Conscient de la situation de mutation à laquelle nous étions exposés, nous avons à plusieurs reprises tenté d’investir directement ou indirectement dans d’autres métiers. Souvent avec des échecs (lancement d’une ligne car-ferry, usine de moulage en plasturgie, accueil de passagers de croisières, Yachting…), mais parfois avec succès (notamment dans l’électronique industrielle et l’informatique).

Il y eu, comme nous venons de le résumer brièvement, certes des erreurs de positionnement ou d’orientation de l’entreprise, connu des périodes difficiles à plusieurs titres ou causes, mais la société a la fierté de n’avoir jamais laissé un centime de dette derrière elle, et ne serait-ce que pour cette raison, la société des TRANSPORTS MARTINI & CIE reste malgré tout une « grande et respectueuse maison ».